Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/218

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la femme regrettée, il évoquait du cercueil la poussière qu’elle devait être maintenant. Et c’était vivante qu’elle se levait, en sa fraîcheur délicieuse de fleur, telle qu’il l’avait aimée toute jeune, d’un amour fou d’homme déjà mûr. La torture recommençait, saignante comme au lendemain de sa mort ; il la pleurait, il la désirait, avec la même révolte contre Dieu, qui la lui avait prise ; il ne se calmait qu’au petit jour, épuisé, dans le mépris de lui-même et le dégoût du monde. Ah ! la passion, la bête mauvaise, qu’il aurait voulu écraser, pour retomber à la paix anéantie de l’amour divin !

Monseigneur, quand il sortait de sa chambre, retrouvait son attitude sévère, sa face calme et hautaine, à peine blêmie d’un reste de pâleur. Le matin où Félicien s’était confessé, il avait écouté, sans une parole, en se domptant d’un tel effort, que pas une fibre de sa chair ne tressaillait. Il le regardait, le cœur bouleversé de le voir si jeune, si beau, si ardent, de se revoir, dans cette folie de l’amour. Ce n’était plus de la rancune, c’était l’absolue volonté, le devoir rude de le soustraire au mal dont lui-même souffrait tant. Il tuerait la passion dans son fils, comme il voulait la tuer en lui. Cette histoire romanesque achevait de l’angoisser. Quoi ! une fille pauvre, une fille sans nom, une petite brodeuse aperçue sous un rayon de lune, transfigurée en vierge mince de la Légende, adorée dans le rêve ! Et il avait fini par répondre d’un