Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/236

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de coudre l’or, à travers l’épaisseur des fils cirés. On l’aurait dite absorbée toute par cette rude besogne, le corps et l’esprit, au point de ne plus penser. Dès neuf heures, elle tombait de fatigue, se couchait, dormait d’un sommeil de plomb. Quand le travail lui laissait la tête libre une minute, elle s’étonnait de ne pas voir Félicien. Si elle ne faisait rien pour le rencontrer, elle songeait qu’il aurait dû tout franchir, lui, pour être près d’elle. Mais elle l’approuvait de se montrer si sage, elle l’aurait grondé, de vouloir hâter les choses. Sans doute il attendait aussi le prodige. C’était l’attente unique dont elle vivait maintenant, espérant chaque soir que ce serait pour le lendemain. Elle n’avait pas eu jusque-là de révolte. Parfois, cependant, elle levait la tête : quoi, rien encore ? Et elle piquait fortement son aiguille, dont ses petites mains saignaient. Souvent, il lui fallait la retirer avec les pinces. Quand l’aiguille cassait, d’un coup sec de verre qu’on brise, elle n’avait pas même un geste d’impatience.

Hubertine s’inquiéta de la voir si acharnée au travail, et comme l’époque de la lessive était venue, elle la força à quitter le panneau de broderie, pour vivre quatre bons jours de vie active, sous le grand soleil. La mère Gabet, que ses douleurs laissaient tranquille, put aider au savonnage et au rinçage. C’était une fête dans le Clos-Marie, cette fin d’août avait une splendeur admirable, un