Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/66

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Hubertine. Une semaine plus tard, il entrait dans les ordres. Il y a vingt ans de cela, et il est évêque aujourd’hui… Mais ce qu’on ajoute, c’est que, pendant vingt ans, il a refusé de voir son fils, cet enfant qui avait coûté la vie à sa mère. Il s’en était débarrassé, en le plaçant chez un oncle de celle-ci, un vieil abbé, ne voulant pas même en recevoir des nouvelles, tâchant d’oublier son existence. Un jour qu’on lui envoyait un portrait du petit, il crut revoir sa chère morte, on le trouva sur le plancher, raidi, comme abattu d’un coup de marteau… Et puis, l’âge, la prière, ont dû apaiser ce grand chagrin, car le bon curé Cornille me disait hier que Monseigneur venait enfin d’appeler son fils près de lui.

Angélique, ayant terminé la rose, si fraîche que l’odeur semblait s’en exhaler du satin, regardait de nouveau par la fenêtre ensoleillée, les yeux noyés d’une rêverie. Elle répéta à voix basse :

— Le fils de Monseigneur…

Hubertine achevait son histoire.

— Un jeune homme beau comme un dieu, paraît-il. Son père désirait en faire un prêtre. Mais le vieil abbé n’a pas voulu, le petit manquant tout à fait de vocation… Et des millions ! cinquante à ce qu’on raconte ! Oui, sa mère lui aurait laissé cinq millions, qui, placés en achat de terrains, à Paris, en représenteraient plus de cinquante maintenant. Enfin, riche comme un roi !