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LES ROUGON-MACQUART.

ler. Les gras fondaient. Une vapeur plus épaisse monta du fourneau.

— Qu’est-ce qu’on leur donnait à manger ? demanda la petite Pauline profondément intéressée.

— On leur donnait du riz plein de vers et de la viande qui sentait mauvais, répondit Florent, dont la voix s’assourdissait. Il fallait enlever les vers pour manger le riz. La viande, rôtie et très-cuite, s’avalait encore ; mais bouillie, elle puait tellement, qu’elle donnait souvent des coliques.

— Moi, j’aime mieux être au pain sec, dit l’enfant après s’être consultée.

Léon, ayant fini de hacher, apporta la chair à saucisse dans un plat, sur la table carrée. Mouton, qui était resté assis, les yeux sur Florent, comme extrêmement surpris par l’histoire, dut se reculer un peu, ce qu’il fit de très-mauvaise grâce. Il se pelotonna, ronronnant, le nez sur la chair à saucisse. Cependant, Lisa paraissait ne pouvoir cacher son étonnement ni son dégoût ; le riz plein de vers et la viande qui sentait mauvais lui semblaient sûrement des saletés à peine croyables, tout à fait déshonorantes pour celui qui les avait mangées. Et, sur son beau visage calme, dans le gonflement de son cou, il y avait une vague épouvante, en face de cet homme nourri de choses immondes.

— Non, ce n’était pas un lieu de délices, reprit-il, oubliant la petite Pauline, les yeux vagues sur la marmite qui fumait. Chaque jour des vexations nouvelles, un écrasement continu, une violation de toute justice, un mépris de la charité humaine, qui exaspéraient les prisonniers et les brûlaient lentement d’une fièvre de rancune maladive. On vivait en bête, avec le fouet éternellement levé sur les épaules. Ces misérables voulaient tuer l’homme… On ne peut pas oublier, non ce n’est pas possible. Ces souffrances crieront vengeance un jour.

Il avait baissé la voix, et les lardons qui sifflaient joyeu-