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LE VENTRE DE PARIS.

sement dans la marmite la couvraient de leur bruit de friture bouillante. Mais Lisa l’entendait, effrayée de l’expression implacable que son visage avait prise brusquement. Elle le jugea hypocrite, avec cet air doux qu’il savait feindre.

Le ton sourd de Florent avait mis le comble au plaisir de Pauline. Elle s’agitait sur le genou du cousin, enchantée de l’histoire.

— Et l’homme, et l’homme ? murmurait-elle.

Florent regarda la petite Pauline, parut se souvenir, retrouva son sourire triste.

— L’homme, dit-il, n’était pas content d’être dans l’île. Il n’avait qu’une idée, s’en aller, traverser la mer pour atteindre la côte, dont on voyait, par les beaux temps, la ligne blanche à l’horizon. Mais ce n’était pas commode. Il fallait construire un radeau. Comme des prisonniers s’étaient sauvés déjà, on avait abattu tous les arbres de l’île, afin que les autres ne pussent se procurer du bois. L’île était toute pelée, si nue, si aride sous les grands soleils, que le séjour en devenait plus dangereux et plus affreux encore. Alors l’homme eut l’idée, avec deux de ses camarades, de se servir des troncs d’arbres de leurs huttes. Un soir, ils partirent sur quelques mauvaises poutres qu’ils avaient liées avec des branches sèches. Le vent les portait vers la côte. Le jour allait paraître, quand leur radeau échoua sur un banc de sable, avec une telle violence, que les troncs d’arbres détachés furent emportés par les vagues. Les trois malheureux faillirent rester dans le sable ; ils enfonçaient jusqu’à la ceinture ; même il y en eut un qui disparut jusqu’au menton, et que les deux autres durent retirer. Enfin ils atteignirent un rocher, où ils avaient à peine assez de place pour s’asseoir. Quand le soleil se leva, ils aperçurent en face d’eux la côte, une barre de falaises grises tenant tout un côté de l’horizon. Deux, qui savaient nager, se décidèrent à gagner ces falaises. Ils aimaient mieux risquer de se noyer tout de suite que de