Page:Emile Zola - Le Ventre de Paris.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
LES ROUGON-MACQUART.

mourir lentement de faim sur leur écueil. Ils promirent à leur compagnon de venir le chercher, lorsqu’ils auraient touché terre et qu’ils se seraient procuré une barque.

— Ah ! voilà, je sais maintenant ! cria la petite Pauline, tapant de joie dans ses mains. C’est l’histoire du monsieur qui a été mangé par les bêtes.

— Ils purent atteindre la côte, poursuivit Florent ; mais elle était déserte, ils ne trouvèrent une barque qu’au bout de quatre jours… Quand ils revinrent à l’écueil, ils virent leur compagnon étendu sur le dos, les pieds et les mains dévorés, la face rongée, le ventre plein d’un grouillement de crabes qui agitaient la peau des flancs, comme si un râle furieux eût traversé ce cadavre à moitié mangé et frais encore.

Un murmure de répugnance échappa à Lisa et à Augustine. Léon, qui préparait des boyaux de porc pour le boudin, fit une grimace. Quenu s’arrêta dans son travail, regarda Auguste pris de nausées. Et il n’y avait que Pauline qui riait. Ce ventre, plein d’un grouillement de crabes, s’étalait étrangement au milieu de la cuisine, mêlait des odeurs suspectes aux parfums du lard et de l’oignon.

— Passez-moi le sang ! cria Quenu, qui, d’ailleurs, ne suivait pas l’histoire.

Auguste apporta les deux brocs. Et, lentement, il versa le sang dans la marmite, par minces filets rouges, tandis que Quenu le recevait, en tournant furieusement la bouillie qui s’épaississait. Lorsque les brocs furent vides, ce dernier, atteignant un à un les tiroirs, au-dessus du fourneau, prit des pincées d’épices. Il poivra surtout fortement.

— Ils le laissèrent là, n’est-ce pas ? demanda Lisa. Ils revinrent sans danger ?

— Comme ils revenaient, répondit Florent, le vent tourna, ils furent poussés en pleine mer. Une vague leur enleva une rame, et l’eau entrait à chaque souffle, si furieusement, qu’ils n’étaient occupés qu’à vider la barque avec leurs mains. Ils