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LES ROUGON-MACQUART.

d’amour au soleil. Elle s’essuya les mains à son tablier, souriant toujours, de son air tranquille de grande fille au sang glacé, dans ce frisson des voluptés froides et affadies des rivières.

Cette sympathie de Claire était une mince consolation pour Florent. Elle lui attirait des plaisanteries plus sales, quand il s’arrêtait à causer avec la jeune fille. Celle-ci haussait les épaules, disait que sa mère était une vieille coquine et que sa sœur ne valait pas grand’chose. L’injustice du marché envers l’inspecteur l’outrait de colère. La guerre, cependant, continuait, plus cruelle chaque jour. Florent songeait à quitter sa place ; il n’y serait pas resté vingt-quatre heures, s’il n’avait craint de paraître lâche devant Lisa. Il s’inquiétait de ce qu’elle dirait, de ce qu’elle penserait. Elle était forcément au courant du grand combat des poissonnières et de leur inspecteur, dont le bruit emplissait les Halles sonores, et dont le quartier jugeait chaque coup nouveau avec des commentaires sans fin.

— Ah ! bien, disait-elle souvent, le soir, après le dîner, c’est moi qui me chargerais de les ramener à la raison ! Toutes, des femmes que je ne voudrais pas toucher du bout des doigts, de la canaille, de la saloperie ! Cette Normande est la dernière des dernières… Tenez, je la mettrais à pied, moi ! Il n’y a encore que l’autorité, entendez-vous, Florent. Vous avez tort, avec vos idées. Faites un coup de force, vous verrez comme tout le monde sera sage.

La dernière crise fut terrible. Un matin, la bonne de madame Taboureau, la boulangère, cherchait une barbue, à la poissonnerie. La belle Normande, qui la voyait tourner autour d’elle depuis quelques minutes, lui fit des avances, des cajoleries.

— Venez donc me voir, je vous arrangerai… Voulez-vous une paire de soles, un beau turbot ?

Et, comme elle s’approchait enfin, et qu’elle flairait une