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LE VENTRE DE PARIS.

barbue, avec la moue rechignée que prennent les clientes pour payer moins cher :

— Pesez-moi ça, continua la belle Normande, en lui posant sur la main ouverte la barbue enveloppée d’une feuille de gros papier jaune.

La bonne, une petite Auvergnate toute dolente, soupesait la barbue, lui ouvrait les ouïes, toujours avec sa grimace, sans rien dire. Puis, comme à regret :

— Et combien ?

— Quinze francs, répondit la poissonnière.

Alors l’autre remit vite le poisson sur le marbre. Elle parut se sauver. Mais la belle Normande la retint.

— Voyons, dites votre prix.

— Non, non, c’est trop cher.

— Dites toujours.

— Si vous voulez huit francs ?

La mère Méhudin, qui sembla s’éveiller, eut un rire inquiétant. On croyait donc qu’elles volaient la marchandise. — Huit francs, une barbue de cette grosseur ! On t’en donnera, ma petite, pour te tenir la peau fraîche, la nuit. La belle Normande, d’un air offensé, tournait la tête. Mais la bonne revint deux fois, offrit neuf francs, alla jusqu’à dix francs. Puis, comme elle partait pour tout de bon :

— Allons, venez, lui cria la poissonnière, donnez-moi de l’argent.

La bonne se planta devant le banc, causant amicalement avec la mère Méhudin. Madame Taboureau se montrait si exigeante ! Elle avait du monde à dîner, le soir ; des cousins de Blois, un notaire avec sa dame. La famille de madame Taboureau était très comme il faut ; elle-même, bien que boulangère, avait reçu une belle éducation.

— Videz-la-moi bien, n’est-ce pas ? dit-elle en s’interrompant.

La belle Normande, d’un coup de doigt, avait vidé la