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LE VENTRE DE PARIS.

leurs volets ; les boutiques rouges, avec leurs becs de gaz allumés, trouaient les ténèbres, le long des maisons grises. Florent regardait une boulangerie, rue Montorgueil, à gauche, toute pleine et toute dorée de la dernière cuisson, et il croyait sentir la bonne odeur du pain chaud. Il était quatre heures et demie.

Cependant, madame François s’était débarrassée de sa marchandise. Il lui restait quelques bottes de carottes, quand Lacaille reparut, avec son sac.

— Eh bien, ça va-t-il à un sou ? dit-il.

— J’étais bien sûre de vous revoir, vous, répondit tranquillement la maraîchère. Voyons, prenez mon reste. Il y a dix-sept bottes.

— Ça fait dix-sept sous.

— Non, trente-quatre.

Ils tombèrent d’accord à vingt-cinq. Madame François était pressée de s’en aller. Lorsque Lacaille se fut éloigné, avec ses carottes dans son sac :

— Voyez-vous, il me guettait, dit-elle à Florent. Ce vieux-là râle sur tout le marché ; il attend quelquefois le dernier coup de cloche, pour acheter quatre sous de marchandise… Ah ! ces Parisiens ! ça se chamaille pour deux liards, et ça va boire le fond de sa bourse chez le marchand de vin.

Quand madame François parlait de Paris, elle était pleine d’ironie et de dédain ; elle le traitait en ville très-éloignée, tout à fait ridicule et méprisable, dans laquelle elle ne consentait à mettre les pieds que la nuit.

— À présent, je puis m’en aller, reprit-elle en s’asseyant de nouveau près de Florent, sur les légumes d’une voisine.

Florent baissait la tête, il venait de commettre un vol. Quand Lacaille s’en était allé, il avait aperçu une carotte par terre. Il l’avait ramassée, il la tenait serrée dans sa main droite. Derrière lui, des paquets de céleris, des tas de persil mettaient des odeurs irritantes qui le prenaient à la gorge.