Page:Emile Zola - Le Ventre de Paris.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
173
LE VENTRE DE PARIS.

vite, cherchait un bout de conversation. Elle était tout près de lui. Il ne la trouvait pas tiède et vivante, comme la poissonnière ; elle n’avait pas, non plus, la même odeur de marée, pimentée et de haut goût ; elle sentait la graisse, la fadeur des belles viandes. Pas un frisson ne faisait faire un pli à son corsage tendu. Le contact trop ferme de la belle Lisa inquiétait plus encore ses os de maigre que l’approche tendre de la belle Normande. Gavard lui dit une fois, en grande confidence, que madame Quenu était certainement une belle femme, mais qu’il les aimait « moins blindées que cela. »

Lisa évitait de parler de Florent à Quenu. Elle faisait, d’habitude, grand étalage de patience. Puis, elle croyait honnête de ne pas se mettre entre les deux frères, sans avoir de bien sérieux motifs. Comme elle le disait, elle était très-bonne, mais il ne fallait pas la pousser à bout. Elle en était à la période de tolérance, le visage muet, la politesse stricte, l’indifférence affectée, évitant encore avec soin tout ce qui aurait pu faire comprendre à l’employé qu’il couchait et qu’il mangeait chez eux, sans que jamais on vît son argent ; non pas qu’elle eût accepté un payement quelconque, elle était au-dessus de cela ; seulement, il aurait pu, vraiment, déjeuner au moins dehors. Elle fit remarquer un jour à Quenu :

— On n’est plus seuls. Quand nous voulons nous parler, maintenant, il faut attendre que nous soyons couchés, le soir.

Et, un soir, elle lui dit, sur l’oreiller :

— Il gagne cent cinquante francs, n’est-ce pas ? ton frère… C’est singulier qu’il ne puisse pas mettre quelque chose de côté pour s’acheter du linge. J’ai encore été obligée de lui donner trois vieilles chemises à toi.

— Bah ! ça ne fait rien, répondit Quenu, il n’est pas difficile, mon frère… Il faut lui laisser son argent.