Page:Emile Zola - Le Ventre de Paris.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
174
LES ROUGON-MACQUART.


— Oh ! bien sûr, murmura Lisa, sans insister davantage, je ne dis pas ça pour ça… Qu’il le dépense bien ou mal, ce n’est pas notre affaire.

Elle était persuadée qu’il mangeait ses appointements chez les Méhudin. Elle ne sortit qu’une fois de son attitude calme, de cette réserve de tempérament et de calcul. La belle Normande avait fait cadeau à Florent d’un saumon, superbe. Celui-ci, très embarrassé de son saumon, n’ayant pas osé le refuser, l’apporta à la belle Lisa.

— Vous en ferez un pâté, dit-il ingénument.

Elle le regardait fixement, les lèvres blanches ; puis, d’une voix qu’elle tâchait de contenir :

— Est-ce que vous croyez que nous avons besoin de nourriture, par exemple ! Dieu merci ! il y a assez à manger ici !… Remportez-le !

— Mais faites-le-moi cuire, au moins, reprit Florent, étonné de sa colère ; je le mangerai.

Alors elle éclata.

— La maison n’est pas une auberge, peut-être ! Dites aux personnes qui vous l’ont donné de le faire cuire, si elles veulent. Moi, je n’ai pas envie d’empester mes casseroles… Remportez-le, entendez-vous !

Elle l’aurait pris et jeté à la rue. Il le porta chez monsieur Lebigre, où Rose reçut l’ordre d’en faire un pâté. Et, un soir, dans le cabinet vitré, on mangea le pâté. Gavard paya des huîtres. Florent, peu à peu, venait davantage, ne quittait plus le cabinet. Il y trouvait un milieu surchauffé, où ses fièvres politiques battaient à l’aise. Parfois, maintenant, quand il s’enfermait dans sa mansarde pour travailler, la douceur de la pièce l’impatientait, la recherche théorique de la liberté ne lui suffisait plus, il fallait qu’il descendît, qu’il allât se contenter dans les axiomes tranchants de Charvet et dans les emportements de Logre. Les premiers soirs, ce tapage, ce flot de paroles l’avait gêné ; il en sentait encore