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LE VENTRE DE PARIS.

le mur. Ce dos énorme, très-gras aux épaules, était blême, d’une colère contenue ; il se renflait, gardait l’immobilité et le poids d’une accusation sans réplique. Quenu, tout à fait décontenancé par l’extrême sévérité de ce dos qui semblait l’examiner avec la face épaisse d’un juge, se coula sous les couvertures, souffla la bougie, se tint sage. Il était resté sur le bord, pour ne point toucher sa femme. Elle ne dormait toujours pas, il l’aurait juré. Puis, il céda au sommeil, désespéré de ce qu’elle ne parlait point, n’osant lui dire bonsoir, se trouvant sans force contre cette masse implacable qui barrait le lit à ses soumissions.

Le lendemain, il dormit tard. Quand il s’éveilla, l’édredon au menton, vautré au milieu du lit, il vit Lisa, assise devant le secrétaire, qui mettait des papiers en ordre ; elle s’était levée, sans qu’il s’en aperçût, dans le gros sommeil de son dévergondage de la veille. Il prit courage, il lui dit, du fond de l’alcôve :

— Tiens ! pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ?… Qu’est-ce que tu fais là ?

— Je range ces tiroirs, répondit-elle, très-calme, de sa voix ordinaire.

Il se sentit soulagé. Mais elle ajouta :

— On ne sait pas ce qui peut arriver ; si la police venait…

— Comment, la police ?

— Certainement, puisque tu t’occupes de politique, maintenant.

Il s’assit sur son séant, hors de lui, frappé en pleine poitrine par cette attaque rude et imprévue.

— Je m’occupe de politique, je m’occupe de politique, répétait-il ; la police n’a rien à voir là dedans, je ne me compromets pas.

— Non, reprit Lisa avec un haussement d’épaules, tu parles simplement de faire fusiller tout le monde.