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LES ROUGON-MACQUART.

— Moi ! moi !

— Et tu cries cela chez un marchand de vin… Mademoiselle Saget t’a entendu. Tout le quartier, à cette heure, sait que tu es un rouge.

Du coup, il se recoucha. Il n’était pas encore bien éveillé. Les paroles de Lisa retentissaient, comme s’il eût déjà entendu les fortes bottes des gendarmes, à la porte de la chambre. Il la regardait, coiffée, serrée dans son corset, sur son pied de toilette habituel, et il s’ahurissait davantage, à la trouver si correcte dans cette circonstance dramatique.

— Tu le sais, je te laisse absolument libre, reprit-elle après un silence, tout en continuant à classer les papiers ; je ne veux pas porter les culottes, comme on dit… Tu es le maître, tu peux risquer ta situation, compromettre notre crédit, ruiner la maison… Moi, je n’aurai plus tard qu’à sauvegarder les intérêts de Pauline.

Il protesta, mais elle le fit taire d’un geste, en ajoutant :

— Non, ne dis rien, ce n’est pas une querelle, pas même une explication, que je provoque… Ah ! si tu m’avais demandé conseil, si nous avions causé de ça ensemble, je ne dis pas ! On a tort de croire que les femmes n’entendent rien à la politique… Veux-tu que je te la dise, ma politique, à moi ?

Elle s’était levée, elle allait du lit à la fenêtre, enlevant du doigt les grains de poussière qu’elle apercevait sur l’acajou luisant de l’armoire à glace et de la toilette-commode.

— C’est la politique des honnêtes gens… Je suis reconnaissante au gouvernement, quand mon commerce va bien, quand je mange ma soupe tranquille, et que je dors sans être réveillée par des coups de fusil… C’était du propre, n’est-ce pas, en 48 ? L’oncle Gradelle, un digne homme, nous a montré ses livres de ce temps-là. Il a perdu plus de six mille francs… Maintenant que nous avons l’empire, tout marche, tout se vend. Tu ne peux pas dire le contraire… Alors,