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LE VENTRE DE PARIS.

qu’est-ce que vous voulez ? Qu’est-ce que vous aurez de plus, quand vous aurez fusillé tout le monde ?

Elle se planta devant la table de nuit, les mains croisées, en face de Quenu, qui disparaissait sous l’édredon. Il essaya d’expliquer ce que ces messieurs voulaient ; mais il s’embarrassait dans les systèmes politiques et sociaux de Charvet et de Florent ; il parlait des principes méconnus, de l’avénement de la démocratie, de la régénération des sociétés, mêlant le tout d’une si étrange façon, que Lisa haussa les épaules, sans comprendre. Enfin, il se sauva en tapant sur l’empire : c’était le règne de la débauche, des affaires véreuses, du vol à main armée.

— Vois-tu, dit-il en se souvenant d’une phrase de Logre, nous sommes la proie d’une bande d’aventuriers qui pillent, qui violent, qui assassinent la France… Il n’en faut plus !

Lisa haussait toujours les épaules.

— C’est tout ce que tu as à dire ? demanda-t-elle avec son beau sang-froid. Qu’est-ce que ça me fait, ce que tu racontes là ? Quand ce serait vrai, après ?… Est-ce que je te conseille d’être un malhonnête homme, moi ? Est-ce que je te pousse à ne pas payer tes billets, à tromper les clients, à entasser trop vite des pièces de cent sous mal acquises ?… Tu me ferais mettre en colère, à la fin ! Nous sommes de braves gens, nous autres, qui ne pillons et qui n’assassinons personne. Cela suffit. Les autres, ça ne me regarde pas ; qu’ils soient des canailles, s’ils veulent !

Elle était superbe et triomphante. Elle se remit à marcher, le buste haut, continuant :

— Pour faire plaisir à ceux qui n’ont rien, il faudrait alors ne pas gagner sa vie… Certainement que je profite du bon moment et que je soutiens le gouvernement qui fait aller le commerce. S’il commet de vilaines choses, je ne veux pas le savoir. Moi, je sais que je n’en commets pas, je ne crains point qu’on me montre au doigt