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LE VENTRE DE PARIS.

dans le tas, ils ramenaient un panier, ils s’enfermaient. Alors, ils étaient chez eux, ils avaient une maison. Ils s’embrassaient impunément. Ce qui les faisait se moquer du monde, c’était que de minces cloisons d’osier les séparaient seules de la foule des Halles, dont ils entendaient autour d’eux la voix haute. Souvent, ils pouffaient de rire, lorsque des gens s’arrêtaient à deux pas, sans les soupçonner là ; ils ouvraient des meurtrières, hasardaient un œil ; Cadine, à l’époque des cerises, lançait des noyaux dans le nez de toutes les vieilles femmes qui passaient, ce qui les amusait d’autant plus, que les vieilles, effarées, ne devinaient jamais d’où partait cette grêle de noyaux. Ils rôdaient aussi au fond des caves, en connaissaient les trous d’ombre, savaient traverser les grilles les mieux fermées. Une de leurs grandes parties était de pénétrer sur la voie du chemin de fer souterrain, établi dans le sous-sol, et que des lignes projetées devaient relier aux différentes gares ; des tronçons de cette voie passent sous les rues couvertes, séparant les caves de chaque pavillon ; même, à tous les carrefours, des plaques tournantes sont posées, prêtes à fonctionner. Cadine et Marjolin avaient fini par découvrir, dans la barrière de madriers qui défend la voie, une pièce de bois moins solide qu’ils avaient rendue mobile ; si bien qu’ils entraient là, tout à l’aise. Ils y étaient séparés du monde, avec le continu piétinement de Paris, en haut, sur le carreau. La voie étendait ses avenues, ses galeries désertes, tachées de jour, sous les regards à grilles de fonte ; dans les bouts noirs, des gaz brûlaient. Ils se promenaient comme au fond d’un château à eux, certains que personne ne les dérangerait, heureux de ce silence bourdonnant, de ces lueurs louches, de cette discrétion de souterrain, où leurs amours d’enfants gouailleurs avaient des frissons de mélodrame. Des caves voisines, à travers les madriers, toutes sortes d’odeurs leur arrivaient : la fadeur des légumes, l’âpreté de la marée, la rudesse pestilentielle des fromages, la chaleur vivante des