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LES ROUGON-MACQUART.

volailles. C’étaient de continuels souffles nourrissants qu’ils aspiraient entre leurs baisers, dans l’alcôve d’ombre où ils s’oubliaient, couchés en travers sur les rails. Puis, d’autres fois, par les belles nuits, par les aubes claires, ils grimpaient sur les toits, ils montaient l’escalier roide des tourelles, placées aux angles des pavillons. En haut, s’élargissaient des champs de zinc, des promenades, des places, toute une campagne accidentée dont ils étaient les maîtres. Ils faisaient le tour des toitures carrées des pavillons, suivaient les toitures allongées des rues couvertes, gravissaient et descendaient les pentes, se perdaient dans des voyages sans fin. Lorsqu’ils se trouvaient las des terres basses, ils allaient encore plus haut, ils se risquaient le long des échelles de fer, où les jupes de Cadine flottaient comme des drapeaux. Alors, ils couraient le second étage de toits, en plein ciel. Au dessus d’eux, il n’y avait plus que les étoiles. Des rumeurs s’élevaient du fond des Halles sonores, des bruits roulants, une tempête au loin, entendue la nuit. À cette hauteur, le vent matinal balayait les odeurs gâtées, les mauvaises haleines du réveil des marchés. Dans le jour levant, au bord des gouttières, ils se becquetaient, ainsi que font des oiseaux, polissonnant sous les tuiles. Ils étaient tout roses, aux premières rougeurs du soleil. Cadine riait d’être en l’air, la gorge moirée, pareille à celle d’une colombe ; Marjolin se penchait pour voir les rues encore pleines de ténèbres, les mains serrées au zinc, comme des pattes de ramier. Quand ils redescendaient, avec la joie du grand air, souriant en amoureux qui sortent chiffonnés d’une pièce de blé, ils disaient qu’ils revenaient de la campagne.

Ce fut à la triperie qu’ils firent connaissance de Claude Lantier. Ils y allaient chaque jour, avec le goût du sang, avec la cruauté de galopins s’amusant à voir des têtes coupées. Autour du pavillon, les ruisseaux coulent rouges ; ils y trempaient le bout du pied, y poussaient des tas de feuilles qui