Page:Emile Zola - Le Ventre de Paris.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
LE VENTRE DE PARIS.

rent de surprise ; il devait ne pas reconnaître la boutique ; il lut le nom du marchand, Godebœuf, sur une enseigne rouge, et resta consterné. Les bras ballants, il examinait les pâtés d’épinards, de l’air désespéré d’un homme auquel il arrive quelque malheur suprême.

Cependant, la fenêtre du pignon s’était ouverte, une petite vieille se penchait, regardait le ciel, puis les Halles, au loin.

— Tiens ! mademoiselle Saget est matinale, dit Claude qui avait levé la tête.

Et il ajouta, en se tournant vers son compagnon :

— J’ai eu une tante, dans cette maison-là. C’est une boîte à cancans… Ah ! voilà les Méhudin qui se remuent ; il y a de la lumière au second.

Florent allait le questionner, mais il le trouva inquiétant, dans son grand paletot déteint ; il le suivit, sans mot dire, tandis que l’autre lui parlait des Méhudin. C’étaient des poissonnières ; l’aînée était superbe ; la petite, qui vendait du poisson d’eau douce, ressemblait à une vierge de Murillo, toute blonde au milieu de ses carpes et de ses anguilles. Et il en vint à dire, en se fâchant, que Murillo peignait comme un polisson. Puis, brusquement, s’arrêtant au milieu de la rue :

— Voyons, où allez-vous, à la fin !

— Je ne vais nulle part, à présent, dit Florent accablé. Allons où vous voudrez.

Comme il sortait de la rue Pirouette, une voix appela Claude, du fond de la boutique d’un marchand de vin, qui faisait le coin. Claude entra, traînant Florent à sa suite. Il n’y avait qu’un côté des volets enlevé. Le gaz brûlait dans l’air encore endormi de la salle ; un torchon oublié, les cartes de la veille, traînaient sur les tables, et le courant d’air de la porte grande ouverte mettait sa pointe fraîche au milieu de l’odeur chaude et renfermée du vin. Le patron,