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LES ROUGON-MACQUART.

monsieur Lebigre, servait les clients, en gilet à manches, son collier de barbe tout chiffonné, sa grosse figure régulière toute blanche de sommeil. Des hommes, debout, par groupes, buvaient devant le comptoir, toussant, crachant, les yeux battus, achevant de s’éveiller dans le vin blanc et dans l’eau-de-vie. Florent reconnut Lacaille, dont le sac, à cette heure, débordait de légumes. Il en était à la troisième tournée, avec un camarade, qui racontait longuement l’achat d’un panier de pommes de terre. Quand il eut vidé son verre, il alla causer avec monsieur Lebigre, dans un petit cabinet vitré, au fond, où le gaz n’était pas allumé.

— Que voulez-vous prendre ? demanda Claude à Florent.

En entrant, il avait serré la main de l’homme qui l’invitait. C’était un fort, un beau garçon de vingt-deux ans au plus, rasé, ne portant que de petites moustaches, l’air gaillard, avec son vaste chapeau enduit de craie et son colletin de tapisserie, dont les bretelles serraient son bourgeron bleu. Claude l’appelait Alexandre, lui tapait sur les bras, lui demandait quand ils iraient à Charentonneau. Et ils parlaient d’une grande partie qu’ils avaient faite ensemble, en canot, sur la Marne. Le soir, ils avaient mangé un lapin.

— Voyons, que prenez-vous ? répéta Claude.

Florent regardait le comptoir, très-embarrassé. Au bout, des théières de punch et de vin chaud, cerclées de cuivre, chauffaient sur les courtes flammes bleue et rose d’un appareil à gaz. Il confessa enfin qu’il prendrait volontiers quelque chose de chaud. Monsieur Lebigre servit trois verres de punch. Il y avait, près des théières, dans une corbeille, des petits pains au beurre qu’on venait d’apporter et qui fumaient. Mais les autres n’en prirent pas, et Florent but son verre de punch ; il le sentit qui tombait dans son estomac vide, comme un filet de plomb fondu. Ce fut Alexandre qui paya.