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LE VENTRE DE PARIS.

quiètes, lorsqu’elle marchait sur les trottoirs, tournant les queues des violettes comme des fuseaux. Et Marjolin, lui aussi, avait un malaise qu’il ne s’expliquait pas. Il quittait parfois la petite, s’échappait d’une flânerie, manquait un régal, pour aller voir madame Quenu, à travers les glaces de la charcuterie. Elle était si belle, si grosse, si ronde, qu’elle lui faisait du bien. Il éprouvait, devant elle, une plénitude, comme s’il eût mangé ou bu quelque chose de bon. Quand il s’en allait, il emportait une faim et une soif de la revoir. Cela durait depuis des mois. Il avait eu d’abord pour elle les regards respectueux qu’il donnait aux étalages des épiciers et des marchands de salaisons. Puis, lorsque vinrent les jours de grande maraude, il rêva, en la voyant, d’allonger les mains sur sa forte taille, sur ses gros bras, ainsi qu’il les enfonçait dans les barils d’olives et dans les caisses de pommes tapées.

Depuis quelque temps, Marjolin voyait la belle Lisa chaque jour, le matin. Elle passait devant la boutique de Gavard, s’arrêtait un instant, causait avec le marchand de volailles. Elle faisait son marché elle-même, disait-elle, pour qu’on la volât moins. La vérité était qu’elle tâchait de provoquer les confidences de Gavard ; à la charcuterie, il se méfiait ; dans sa boutique, il pérorait, racontait tout ce qu’on voulait. Elle s’était dit qu’elle saurait par lui ce qui se passait au juste chez monsieur Lebigre ; car elle tenait mademoiselle Saget, sa police secrète, en médiocre confiance. Elle apprit ainsi du terrible bavard des choses confuses qui l’effrayèrent beaucoup. Deux jours après l’explication qu’elle avait eue avec Quenu, elle rentra du marché, très-pâle. Elle fit signe à son mari de la suivre dans la salle à manger. Là, après avoir fermé les portes :

— Ton frère veut donc nous envoyer à l’échafaud !… Pourquoi m’as-tu caché ce que tu sais ?

Quenu jura qu’il ne savait rien. Il fit un grand serment, affirmant qu’il n’était plus retourné chez monsieur Lebigre