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LES ROUGON-MACQUART.

et qu’il n’y retournerait jamais. Elle haussa les épaules, en reprenant :

— Tu feras bien, à moins que tu ne désires y laisser ta peau… Florent est de quelque mauvais coup, je le sens. Je viens d’en apprendre assez pour deviner où il va… Il retourne au bagne, entends-tu ?

Puis, au bout d’un silence, elle continua d’une voix plus calme :

— Ah ! le malheureux !… Il était ici comme un coq en pâte, il pouvait redevenir honnête, il n’avait que de bons exemples. Non, c’est dans le sang ; il se cassera le cou, avec sa politique… Je veux que ça finisse, tu entends, Quenu ? Je t’avais averti.

Elle appuya nettement sur ces derniers mots. Quenu baissait la tête, attendant son arrêt.

— D’abord, dit-elle, il ne mangera plus ici. C’est assez qu’il y couche. Il gagne de l’argent, qu’il se nourrisse.

Il fit mine de protester, mais elle lui ferma la bouche, en ajoutant avec force :

— Alors, choisis entre lui et nous. Je te jure que je m’en vais avec ma fille, s’il reste davantage. Veux-tu que je te le dise, à la fin : c’est un homme capable de tout, qui est venu troubler notre ménage. Mais j’y mettrai bon ordre, je t’assure… Tu as bien entendu : ou lui ou moi.

Elle laissa son mari muet, elle rentra dans la charcuterie, où elle servit une demi-livre de pâté de foie, avec son sourire affable de belle charcutière. Gavard, dans une discussion politique qu’elle avait amenée habilement, s’était échauffé jusqu’à lui dire qu’elle verrait bien, qu’on allait tout flanquer par terre, et qu’il suffirait de deux hommes déterminés comme son beau-frère et lui, pour mettre le feu à la boutique. C’était le mauvais coup dont elle parlait, quelque conspiration à laquelle le marchand de volailles faisait des allusions continuelles, d’un air discret, avec des ricanements qui