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LES ROUGON-MACQUART.

lui faisait l’effet d’une plante saine et robuste, grandie ainsi que les légumes dans le terreau du potager ; tandis qu’il se souvenait des Lisa, des Normandes, des belles filles des Halles, comme de chairs suspectes, parées à l’étalage. Il respira là quelques heures de bien-être absolu, délivré des odeurs de nourriture au milieu desquelles il s’affolait, renaissant dans la sève de la campagne, pareil à ce chou que Claude prétendait avoir vu pousser plus de dix fois.

Vers cinq heures, ils prirent congé de madame François. Ils voulaient revenir à pied. La maraîchère les accompagna jusqu’au bout de la ruelle, et gardant un instant la main de Florent dans la sienne :

— Venez, si vous avez jamais quelque chagrin, dit-elle doucement.

Pendant un quart d’heure, Florent marcha sans parler, assombri déjà, se disant qu’il laissait sa santé derrière lui. La route de Courbevoie était blanche de poussière. Ils aimaient tous deux les grandes courses, les gros souliers sonnant sur la terre dure. De petites fumées montaient derrière leurs talons, à chaque pas. Le soleil oblique prenait l’avenue en écharpe, allongeait leurs deux ombres en travers de la chaussée, si démesurément que leurs têtes allaient jusqu’à l’autre bord, filant sur le trottoir opposé.

Claude, les bras ballants, faisant de grandes enjambées régulières, regardait complaisamment les deux ombres, heureux et perdu dans le cadencement de la marche, qu’il exagérait encore en le marquant des épaules. Puis, comme sortant d’une songerie :

— Est-ce que vous connaissez la bataille des Gras et des Maigres ? demanda-t-il.

Florent, surpris, dit que non. Alors Claude s’enthousiasma, parla de cette série d’estampes avec beaucoup d’éloges. Il cita certains épisodes : les Gras, énormes à crever, préparant la goinfrerie du soir, tandis que les Maigres, pliés par le