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LE VENTRE DE PARIS.

sait très-sûre. Et elle finissait, en expliquant la nécessité absolue de la religion, pour le plus grand nombre ; elle la regardait comme une police qui aidait à maintenir l’ordre, et sans laquelle il n’y avait pas de gouvernement possible. Quand Gavard poussait les choses un peu trop loin sur ce chapitre, disant qu’on devrait flanquer les curés dehors et fermer leurs boutiques, elle haussait les épaules, elle répondait :

— Vous seriez bien avancé !… On se massacrerait dans les rues, au bout d’un mois, et l’on se trouverait forcé d’inventer un autre bon Dieu. En 93, ça s’est passé comme cela… Vous savez, n’est-ce pas ? que moi je ne vis pas avec les curés ; mais je dis qu’il en faut, parce qu’il en faut.

Aussi, lorsque Lisa allait dans une église, elle se montrait recueillie. Elle avait acheté un beau paroissien, qu’elle n’ouvrait jamais, pour assister aux enterrements et aux mariages. Elle se levait, s’agenouillait aux bons endroits, s’appliquant à garder l’attitude décente qu’il convenait d’avoir. C’était, pour elle, une sorte de tenue officielle que les gens honnêtes, les commerçants et les propriétaires, devaient garder devant la religion.

Ce jour-là, la belle charcutière, en entrant à Saint-Eustache, laissa doucement tomber la double porte en drap vert déteint, usé par la main des dévotes. Elle trempa les doigts dans le bénitier, se signa correctement. Puis, à pas étouffés, elle alla jusqu’à la chapelle de Sainte-Agnès, où deux femmes agenouillées, la face dans les mains, attendaient, pendant que la robe bleue d’une troisième débordait du confessionnal. Elle parut contrariée ; et, s’adressant à un bedeau qui passait, avec sa calotte noire, en traînant les pieds :

— C’est donc le jour de confession de monsieur l’abbé Roustan ? demanda-t-elle.

Il répondit que monsieur l’abbé n’avait plus que des