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LE VENTRE DE PARIS.

veines violettes qui lui couturaient la peau, pareilles à des chapelets de varices éclatées. La Sarriette était toute dégoûtée par ces vilains bras, s’acharnant au milieu de cette masse fondante. Mais elle se rappelait le métier ; autrefois, elle mettait, elle aussi, ses petites mains adorables dans le beurre, pendant des après-midi entières ; même c’était là sa pâte d’amande, un onguent qui lui conservait la peau blanche, les ongles roses, et dont ses doigts déliés semblaient avoir gardé la souplesse. Aussi, au bout d’un silence, reprit-elle :

— Elle ne sera pas fameuse, votre maniotte, ma tante… Vous avez là des beurres trop forts.

— Je le sais bien, dit madame Lecœur entre deux gémissements, mais que veux-tu ? il faut bien tout faire passer… Il y a des gens qui veulent payer bon marché ; on leur fait du bon marché… Va, c’est toujours trop bon pour les clients.

La Sarriette pensait qu’elle n’en mangerait pas volontiers, du beurre travaillé par les bras de sa tante. Elle regarda dans un petit pot plein d’une sorte de teinture rouge.

— Il est trop clair, votre raucourt, murmura-t-elle.

Le raucourt sert à rendre à la maniotte une belle couleur jaune. Les marchandes croient garder religieusement le secret de cette teinture, qui provient simplement de la graine du rocouyer ; il est vrai qu’elles en fabriquent avec des carottes et des fleurs de soucis.

— À la fin, venez-vous ! dit la jeune femme qui s’impatientait et qui n’était plus habituée à l’odeur infecte de la cave. Mademoiselle Saget est peut-être déjà partie… Elle doit savoir des choses très-graves sur mon oncle Gavard.

Madame Lecœur, du coup, ne continua pas. Elle laissa la maniotte et le raucourt. Elle ne s’essuya pas même les bras. D’une légère tape, elle ramena de nouveau son bonnet, marchant sur les talons de sa nièce, remontant l’escalier, en répétant avec inquiétude :