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LES ROUGON-MACQUART.

Il était un peu pâle, il regardait Logre dont la bosse roulait doucement contre la cloison vitrée.

— Ce sont des suppositions, murmura le bossu.

— Des suppositions, si vous voulez, répondit le professeur libre. Je sais comment ça se pratique… En tout cas, ce n’est pas encore cette fois que les argousins me prendront. Vous ferez ce que vous voudrez, vous autres ; mais si vous m’écoutiez, vous surtout, monsieur Lebigre, vous ne compromettriez pas votre établissement, qu’on vous fera fermer.

Logre ne put retenir un sourire. Charvet leur parla plusieurs fois dans ce sens ; il devait nourrir le projet de détacher les deux hommes de Florent en les effrayant. Il les trouva toujours d’un calme et d’une confiance qui le surprirent fort. Cependant, il venait encore assez régulièrement le soir, avec Clémence. La grande brune n’était plus tablettière à la poissonnerie. Monsieur Manoury l’avait congédiée.

— Ces facteurs, tous des gueux, grognait Logre.

Clémence, renversée contre la cloison, roulant une cigarette entre ses longs doigts minces, répondait de sa voix nette :

— Eh ! c’est de bonne guerre… Nous n’avions point les mêmes opinions politiques, n’est-ce pas ? Ce Manoury, qui gagne de l’argent gros comme lui, lécherait les bottes de l’empereur. Moi, si j’avais un bureau, je ne le garderais pas vingt-quatre heures pour employé.

La vérité était qu’elle avait la plaisanterie très-lourde, et qu’elle s’était amusée, un jour, à mettre, sur les tablettes de vente, en face des limandes, des raies, des maquereaux adjugés, les noms des dames et des messieurs les plus connus de la cour. Ces surnoms de poissons donnés à de hauts dignitaires, ces adjudications de comtesses et de baronnes vendues à trente sous pièce, avaient profondément effrayé monsieur Manoury. Gavard en riait encore.