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Page:Emile Zola - Le Ventre de Paris.djvu/31

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LE VENTRE DE PARIS.

d’un panier d’oignons, le rouge saignant d’un tas de tomates, l’effacement jaunâtre d’un lot de concombres, le violet sombre d’une grappe d’aubergines, çà et là, s’allumaient ; pendant que de gros radis noirs, rangés en nappes de deuil, laissaient encore quelques trous de ténèbres au milieu des joies vibrantes du réveil.

Claude battait des mains, à ce spectacle. Il trouvait « ces gredins de légumes » extravagants, fous, sublimes. Et il soutenait qu’ils n’étaient pas morts, qu’arrachés de la veille, ils attendaient le soleil du lendemain pour lui dire adieu sur le pavé des Halles. Il les voyait vivre, ouvrir leurs feuilles, comme s’ils eussent encore les pieds tranquilles et chauds dans le fumier. Il disait entendre là le râle de tous les potagers de la banlieue. Cependant, la foule des bonnets blancs, des caracos noirs, des blouses bleues, emplissait les étroits sentiers, entre les tas. C’était toute une campagne bourdonnante. Les grandes hottes des porteurs filaient lourdement au-dessus des têtes. Les revendeuses, les marchands des quatre saisons, les fruitiers, achetaient, se hâtaient. Il y avait des caporaux et des bandes de religieuses autour des montagnes de choux ; tandis que des cuisiniers de collége flairaient, cherchant les bonnes aubaines. On déchargeait toujours ; des tombereaux jetaient leur charge à terre, comme une charge de pavés, ajoutant un flot aux autres flots, qui venaient maintenant battre le trottoir opposé. Et, du fond de la rue du Pont-Neuf, des files de voitures arrivaient, éternellement.

— C’est crânement beau tout de même, murmurait Claude en extase.

Florent souffrait. Il croyait à quelque tentation surhumaine. Il ne voulait plus voir, il regardait Saint-Eustache, posé de biais, comme lavé à la sépia sur le bleu du ciel, avec ses rosaces, ses larges fenêtres cintrées, son clocheton, ses toits d’ardoises. Il s’arrêtait à l’enfoncement sombre de la