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LE VENTRE DE PARIS.

chat, l’écriture de mademoiselle Saget, dénonçant la société du cabinet vitré. Elle reconnut une grande feuille de papier graisseuse, toute tachée de gros bâtons de madame Lecœur, et une page glacée, ornée d’une pensée jaune, couverte du griffonnage de la Sarriette et de monsieur Jules ; les deux lettres avertissaient le gouvernement de prendre garde à Gavard. Elle reconnut encore le style ordurier de la mère Méhudin, qui répétait, en quatre pages presque indéchiffrables, les histoires à dormir debout qui couraient dans les Halles sur le compte de Florent. Mais elle fut surtout émue par une facture de sa maison, portant en tête les mots : Charcuterie Quenu-Gradelle, et sur le dos de laquelle Auguste avait vendu l’homme qu’il regardait comme un obstacle à son mariage.

L’agent avait obéi à une pensée secrète en lui plaçant le dossier sous les yeux.

— Vous ne reconnaissez aucune de ces écritures ? lui demanda-t-il.

Elle balbutia que non. Elle s’était levée. Elle restait toute suffoquée par ce qu’elle venait d’apprendre, la voilette baissée de nouveau, cachant la vague confusion qu’elle sentait monter à ses joues. Sa robe de soie craquait ; ses gants sombres disparaissaient sous le grand châle. L’homme chauve eut un faible sourire, en disant :

— Vous voyez, madame, que vos renseignements viennent un peu tard… Mais on tiendra compte de votre démarche, je vous le promets. Surtout, recommandez à votre mari de ne point bouger… Certaines circonstances peuvent se produire…

Il n’acheva pas, salua légèrement, en se levant à demi de son fauteuil. C’était un congé. Elle s’en alla. Dans l’antichambre, elle aperçut Logre et monsieur Lebigre qui se tournèrent vivement. Mais elle était plus troublée qu’eux. Elle traversait des salles, enfilait des corridors, était comme prise