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LES ROUGON-MACQUART.

sergents de ville et de messieurs en grandes redingotes, elle donna dix sous à un homme, qui la guida jusqu’au cabinet du préfet. Mais une lettre d’audience était nécessaire pour pénétrer auprès du préfet. On l’introduisit dans une pièce étroite, d’un luxe d’hôtel garni, où un personnage gros et chauve, tout en noir, la reçut avec une froideur maussade. Elle pouvait parler. Alors, relevant sa voilette, elle dit son nom, raconta tout, carrément, d’un seul trait. Le personnage chauve l’écoutait, sans l’interrompre, de son air las. Quand elle eut fini, il demanda simplement :

— Vous êtes la belle-sœur de cet homme, n’est-ce pas ?

— Oui, répondit nettement Lisa. Nous sommes d’honnêtes gens… Je ne veux pas que mon mari se trouve compromis.

Il haussa les épaules, comme pour dire que tout cela était bien ennuyeux. Puis d’un air d’impatience :

— Voyez-vous, c’est qu’on m’assomme depuis plus d’un an avec cette affaire-là. On me fait dénonciation sur dénonciation, on me pousse, on me presse. Vous comprenez que si je n’agis pas, c’est que je préfère attendre. Nous avons nos raisons… Tenez, voici le dossier. Je puis vous le montrer.

Il mit devant elle un énorme paquet de papiers, dans une chemise bleue. Elle feuilleta les pièces. C’était comme les chapitres détachés de l’histoire qu’elle venait de conter. Les commissaires de police du Havre, de Rouen, de Vernon, annonçaient l’arrivée de Florent. Ensuite, venait un rapport qui constatait son installation chez les Quenu-Gradelle. Puis, son entrée aux Halles, sa vie, ses soirées chez monsieur Lebigre, pas un détail n’était passé. Lisa, abasourdie, remarqua que les rapports étaient doubles, qu’ils avaient dû avoir deux sources différentes. Enfin, elle trouva un tas de lettres, des lettres anonymes de tous les formats et de toutes les écritures. Ce fut le comble. Elle reconnut une écriture de