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LE VENTRE DE PARIS.

trant Quenu qui accrochait des bandes de petit-salé. Quand il fut retourné à la cuisine, la vieille conta à demi-voix le drame qui venait de se passer chez les Méhudin. La charcutière, penchée au-dessus du comptoir, la main sur la terrine de veau piqué, écoutait, avec la mine heureuse d’une femme qui triomphe. Puis, comme une cliente demandait deux pieds de cochon, elle les enveloppa d’un air songeur.

— Moi, je n’en veux pas à la Normande, dit-elle enfin à mademoiselle Saget, lorsqu’elles furent seules de nouveau. Je l’aimais beaucoup, j’ai regretté qu’on nous eût fâchées ensemble… Tenez, la preuve que je ne suis pas méchante, c’est que j’ai sauvé ça des mains de la police, et que je suis toute prête à le lui rendre, si elle vient me le demander elle-même.

Elle sortit de sa poche le portrait-carte. Mademoiselle Saget le flaira, ricana en lisant : « Louise à son bon ami Florent » ; puis, de sa voix pointue :

— Vous avez peut-être tort. Vous devriez garder ça.

— Non, non, interrompit Lisa, je veux que tous les cancans finissent. Aujourd’hui, c’est le jour de la réconciliation. Il y en a assez, le quartier doit redevenir tranquille.

— Eh bien ! Voulez-vous que j’aille dire à la Normande que vous l’attendez ? demanda la vieille.

— Oui, vous me ferez plaisir.

Mademoiselle Saget retourna rue Pirouette, effraya beaucoup la poissonnière, en lui disant qu’elle venait de voir son portrait dans la poche de Lisa. Mais elle ne put la décider tout de suite à la démarche que sa rivale exigeait. La Normande fit ses conditions, elle irait, seulement la charcutière s’avancerait pour la recevoir jusqu’au seuil de la boutique. La vieille dut faire encore deux voyages, de l’une à l’autre, pour bien régler les points de l’entrevue. Enfin, elle eut la joie de négocier ce raccommodement qui allait faire tant de bruit. Comme elle repassait une dernière fois devant