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LE VENTRE DE PARIS.

sa façade ensoleillée, son air béat de bonne maison se chauffant honnêtement le ventre aux premiers rayons. En haut, sur la terrasse, le grenadier était tout fleuri. Comme Florent traversait la chaussée, il fit un signe de tête amical à Logre et à monsieur Lebigre, qui paraissaient prendre l’air sur le seuil de l’établissement de ce dernier. Ces messieurs lui sourirent. Il allait s’enfoncer dans l’allée, lorsqu’il crut apercevoir, au bout de ce couloir, étroit et sombre, la face pâle d’Auguste qui s’évanouit brusquement. Alors, il revint, jeta un coup d’œil dans la charcuterie, pour s’assurer que le monsieur d’un certain âge ne s’était pas arrêté là. Mais il ne vit que Mouton, assis sur un billot, le contemplant de ses deux gros yeux jaunes, avec son double menton et ses grandes moustaches hérissées de chat défiant. Quand il se fut décidé à entrer dans l’allée, le visage de la belle Lisa se montra au fond, derrière le petit rideau d’une porte vitrée.

Il y eut comme un silence dans la poissonnerie. Les ventres et les gorges énormes retenaient leur haleine, attendaient qu’il eût disparu. Puis tout déborda, les gorges s’étalèrent, les ventres crevèrent d’une joie mauvaise. La farce avait réussi. Rien n’était plus drôle. La vieille Méhudin riait avec des secousses sourdes, comme une outre pleine que l’on vide. Son histoire du monsieur d’un certain âge faisait le tour du marché, paraissait à ces dames extrêmement drôle. Enfin, le grand maigre était emballé, on n’aurait plus toujours là sa fichue mine, ses yeux de forçat. Et toutes lui souhaitaient bon voyage, en comptant sur un inspecteur qui fût bel homme. Elles couraient d’un banc à l’autre, elles auraient dansé autour de leurs pierres comme des filles échappées. La belle Normande regardait cette joie, toute droite, n’osant bouger de peur de pleurer, les mains sur une grande raie pour calmer sa fièvre.

— Voyez-vous ces Méhudin qui le lâchent, quand il n’a plus le sou, dit madame Lecœur.