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LE VENTRE DE PARIS.

par Claude, rue Pirouette ; il se disait qu’il la questionnerait, quand elle aurait quitté la grande sèche.

— Et votre nièce ? demanda mademoiselle Saget.

— La Sarriette fait ce qu’il lui plaît, répondit aigrement madame Lecœur. Elle a voulu s’établir. Ça ne me regarde plus. Quand les hommes l’auront grugée, ce n’est pas moi qui lui donnerai un morceau de pain.

— Vous étiez si bonne pour elle… Elle devrait gagner de l’argent ; les fruits sont avantageux, cette année… Et votre beau-frère ?

— Oh ! lui…

Madame Lecœur pinça les lèvres et parut ne pas vouloir en dire davantage.

— Toujours le même, hein ? continua mademoiselle Saget. C’est un bien brave homme… Je me suis laissé dire qu’il mangeait son argent d’une façon…

— Est-ce qu’on sait s’il mange son argent ! dit brutalement madame Lecœur. C’est un cachotier, c’est un ladre, c’est un homme, voyez-vous, mademoiselle, qui me laisserait crever plutôt que de me prêter cent sous… Il sait parfaitement que les beurres, pas plus que les fromages et les œufs, n’ont marché cette saison. Lui, vend toute la volaille qu’il veut… Eh bien, pas une fois, non, pas une fois, il ne m’aurait offert ses services. Je suis bien trop fière pour accepter, vous comprenez, mais ça m’aurait fait plaisir.

— Eh ! le voilà, votre beau-frère, reprit mademoiselle Saget, en baissant la voix.

Les deux femmes se tournèrent, regardèrent quelqu’un qui traversait la chaussée pour entrer sous la grande rue couverte.

— Je suis pressée, murmura madame Lecœur, j’ai laissé ma boutique toute seule. Puis, je ne veux pas lui parler.

Florent s’était aussi retourné, machinalement. Il vit un petit homme, carré, l’air heureux, les cheveux gris et taillés