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LE VENTRE DE PARIS.

rouette faisait un trou noir. À l’autre bout, le grand vaisseau de Saint-Eustache était tout doré dans la poussière du soleil, comme une immense châsse. Et, au milieu de la cohue, du fond du carrefour, une armée de balayeurs s’avançait, sur une ligne, à coups réguliers de balai ; tandis que les boueux jetaient les ordures à la fourche dans des tombereaux qui s’arrêtaient, tous les vingt pas, avec des bruits de vaisselles cassées. Mais Florent n’avait d’attention que pour la grande charcuterie, ouverte et flambante au soleil levant.

Elle faisait presque le coin de la rue Pirouette. Elle était une joie pour le regard. Elle riait, toute claire, avec des pointes de couleurs vives qui chantaient au milieu de la blancheur de ses marbres. L’enseigne, où le nom de quenu-gradelle luisait en grosses lettres d’or, dans un encadrement de branches et de feuilles, dessiné sur un fond tendre, était faite d’une peinture recouverte d’une glace. Les deux panneaux latéraux de la devanture, également peints et sous verre, représentaient de petits Amours joufflus, jouant au milieu de hures, de côtelettes de porc, de guirlandes de saucisses ; et ces natures mortes, ornées d’enroulements et de rosaces, avaient une telle tendresse d’aquarelle, que les viandes crues y prenaient des tons roses de confitures. Puis, dans ce cadre aimable, l’étalage montait. Il était posé sur un lit de fines rognures de papier bleu ; par endroits, des feuilles de fougère, délicatement rangées, changeaient certaines assiettes en bouquets entourés de verdure. C’était un monde de bonnes choses, de choses fondantes, de choses grasses. D’abord, tout en bas, contre la glace, il y avait une rangée de pots de rillettes, entremêlés de pots de moutarde. Les jambonneaux désossés venaient au-dessus, avec leur bonne figure ronde, jaune de chapelure, leur manche terminé par un pompon vert. Ensuite arrivaient les grands plats : les langues fourrées de Strasbourg, rouges et vernies, saignantes à côté de la pâleur des saucisses et des pieds de