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Page:Emile Zola - Le Ventre de Paris.djvu/8

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LES ROUGON-MACQUART.

puis qu’il se remuait. Il s’assit contre un tas de choux, à côté de la marchandise de madame François, en se disant qu’il était bien là, qu’il ne bougerait plus, qu’il attendrait. Sa tête lui paraissait toute vide, et il ne s’expliquait pas nettement où il se trouvait. Dès les premiers jours de septembre, les matinées sont toutes noires. Des lanternes, autour de lui, filaient doucement, s’arrêtaient dans les ténèbres. Il était au bord d’une large rue, qu’il ne reconnaissait pas. Elle s’enfonçait en pleine nuit, très-loin. Lui, ne distinguait guère que la marchandise qu’il gardait. Au-delà, confusément, le long du carreau, des amoncellements vagues moutonnaient. Au milieu de la chaussée, de grands profils grisâtres de tombereaux barraient la rue ; et, d’un bout à l’autre, un souffle qui passait faisait deviner une file de bêtes attelées qu’on ne voyait point. Des appels, le bruit d’une pièce de bois ou d’une chaîne de fer tombant sur le pavé, l’éboulement sourd d’une charretée de légumes, le dernier ébranlement d’une voiture butant contre la bordure d’un trottoir, mettaient dans l’air encore endormi le murmure doux de quelque retentissant et formidable réveil, dont on sentait l’approche, au fond de toute cette ombre frémissante. Florent, en tournant la tête, aperçut, de l’autre côté de ses choux, un homme qui ronflait, roulé comme un paquet dans une limousine, la tête sur des paniers de prunes. Plus près, à gauche, il reconnut un enfant d’une dizaine d’années, assoupi avec un sourire d’ange, dans le creux de deux montagnes de chicorées. Et, au ras du trottoir, il n’y avait encore de bien éveillé que les lanternes dansant au bout de bras invisibles, enjambant d’un saut le sommeil qui traînait là, gens et légumes en tas, attendant le jour. Mais ce qui le surprenait, c’était, aux deux bords de la rue, de gigantesques pavillons, dont les toits superposés lui semblaient grandir, s’étendre, se perdre, au fond d’un poudroiement de lueurs. Il rêvait, l’esprit affaibli, à une suite de palais, énormes et