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LES ROUGON-MACQUART.

Gavard était venu s’accouder sur la balustrade de l’étalage, à rampe de cuivre ; il s’absorbait, faisait tourner un des balustres de cristal taillé, détaché de sa tringle de laiton. Puis, levant la tête :

— Moi, dit-il, j’avais regardé ça comme une farce.

— Quoi donc ? demanda Lisa encore toute secouée.

— La place d’inspecteur à la marée.

Elle leva les mains, regarda Florent une dernière fois, s’assit sur la banquette rembourrée du comptoir, ne desserra plus les dents. Gavard expliquait tout au long son idée : le plus attrapé, en somme, ce serait le gouvernement qui donnerait ses écus. Il répétait avec complaisance :

— Mon cher, ces gueux-là vous ont laissé crever de faim, n’est-ce pas ? Eh bien, il faut vous faire nourrir par eux, maintenant… C’est très-fort, ça m’a séduit tout de suite.

Florent souriait, disait toujours non. Quenu, pour faire plaisir à sa femme, tenta de trouver de bons conseils. Mais celle-ci semblait ne plus écouter. Depuis un instant, elle regardait avec attention du côté des Halles. Brusquement, elle se remit debout, en s’écriant :

— Ah ! c’est la Normande qu’on envoie maintenant. Tant pis ! la Normande payera pour les autres.

Une grande brune poussait la porte de la boutique. C’était la belle poissonnière, Louise Méhudin, dite la Normande. Elle avait une beauté hardie, très-blanche et délicate de peau, presque aussi forte que Lisa, mais d’œil plus effronté et de poitrine plus vivante. Elle entra, cavalière, avec sa chaîne d’or sonnant sur son tablier, ses cheveux nus peignés à la mode, son nœud de gorge, un nœud de dentelle qui faisait d’elle une des reines coquettes des Halles. Elle portait une vague odeur de marée ; et, sur une de ses mains, près du petit doigt, il y avait une écaille de hareng, qui mettait là une mouche de nacre. Les deux femmes, ayant habité la