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LE VENTRE DE PARIS.

en pleine boue, avec la rage froide d’un esprit tendre et exquis qui doute de lui et qui rêve de se salir. Il finit par s’accroupir devant un des regards donnant sur les caves des Halles, où le gaz brûle éternellement. Là, dans ces profondeurs, il montra à Florent, Marjolin et Cadine qui soupaient tranquillement, assis sur une des pierres d’abattage des resserres aux volailles. Les gamins avaient des moyens à eux pour se cacher et habiter les caves, après la fermeture des grilles.

— Hein ! quelle brute, quelle belle brute ! répétait Claude en parlant de Marjolin avec une admiration envieuse. Et dire que cet animal-là est heureux !… Quand ils vont avoir achevé leurs pommes, ils se coucheront ensemble dans un de ces grands paniers pleins de plumes. C’est une vie ça, au moins !… Ma foi, vous avez raison de rester dans la charcuterie ; peut-être que ça vous engraissera.

Il partit brusquement. Florent remonta à sa mansarde, troublé par ces inquiétudes nerveuses qui réveillaient ses propres incertitudes. Il évita, le lendemain, de passer la matinée à la charcuterie ; il fit une grande promenade le long des quais. Mais, au déjeuner, il fut repris par la douceur fondante de Lisa. Elle lui reparla de la place d’inspecteur à la marée, sans trop insister, comme d’une chose qui méritait réflexion. Il l’écoutait, l’assiette pleine, gagné malgré lui par la propreté dévote de la salle à manger ; la natte mettait une mollesse sous ses pieds ; les luisants de la suspension de cuivre, le jaune tendre du papier peint et du chêne clair des meubles, le pénétraient d’un sentiment d’honnêteté dans le bien-être, qui troublait ses idées du faux et du vrai. Il eut cependant la force de refuser encore, en répétant ses raisons, tout en ayant conscience du mauvais goût qu’il y avait à faire un étalage brutal de ses entêtements et de ses rancunes, en un pareil lieu. Lisa ne se fâcha pas ; elle souriait au contraire, d’un beau sourire qui embarrassait