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POT-BOUILLE

à l’heure ? lui parlerait-il ou feindrait-il de ne pas la voir ? Trublot montrait un grand dédain : pas une encore qui aurait fait son affaire ; et, comme son compagnon protestait, cherchant des yeux, disant qu’il devait y en avoir, là-dedans, dont il se serait accommodé, il déclara doctement :

— Eh bien ! faites votre choix, et vous verrez ensuite, au déballage… Hein ? pas celle qui a des plumes, là-bas ; ni la blonde, à la robe mauve ; ni cette vieille, bien qu’elle soit grasse au moins… Je vous le dis, mon cher, c’est idiot, de chercher dans le monde. Des manières, et pas de plaisir !

Octave souriait. Lui, avait sa position à faire ; il ne pouvait écouter seulement son goût, comme Trublot, dont le père était si riche. Une rêverie l’envahissait devant ces rangées profondes de femmes, il se demandait laquelle il aurait prise pour sa fortune et sa joie, si les maîtres de la maison lui avaient permis d’en emporter une. Brusquement, comme il les pesait du regard, les unes après les autres, il s’étonna.

— Tiens ! ma patronne ! Elle vient donc ici ?

— Vous l’ignoriez ? dit Trublot. Malgré leur différence d’âges, madame Hédouin et madame Duveyrier sont deux amies de pension. Elles ne se quittaient pas, on les appelait les ours blancs, parce qu’elles étaient toujours à vingt degrés au-dessous de zéro… Encore des femmes d’agrément ! Si Duveyrier n’avait pas d’autre boule d’eau chaude à se mettre aux pieds, l’hiver !

Mais Octave, maintenant, était sérieux. Pour la première fois, il voyait madame Hédouin en toilette de soirée, les épaules et les bras nus, avec ses cheveux noirs nattés sur le front ; et c’était, sous l’ardente lumière, comme la réalisation de ses désirs : une femme superbe, à la santé vaillante, à la beauté calme, qui