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POT-BOUILLE

voulait pas introduire de femme parmi ces messieurs, dont elle conduisait la troupe résignée avec des rudesses de chef d’orchestre.

Cependant, les conversations continuaient, un bruit intolérable venait surtout du petit salon, où les discussions politiques devaient s’aigrir. Alors, Clotilde, sortant une clef de sa poche, en tapa de légers coups sur le piano. Un murmure courut, les voix tombèrent, deux flots d’habits noirs débordèrent de nouveau aux portes ; et, par-dessus les têtes, on aperçut un instant la face de Duveyrier, tachée de rouge, exprimant une angoisse. Octave était resté debout derrière madame Hédouin, les yeux baissés sur les ombres perdues de sa gorge, au fond des dentelles. Mais, comme le silence se faisait, un rire éclata, et il leva la tête. C’était Berthe, qui s’égayait d’une plaisanterie d’Auguste, dont elle avait échauffé le sang pauvre, au point qu’il disait des gaillardises. Tout le salon les regarda, des mères devenaient graves, des membres de la famille échangeaient un coup d’œil.

— Est-elle assez folle ! murmura madame Josserand d’un air tendre, de façon à être entendue.

Hortense, près de sa sœur, l’aidait avec une abnégation complaisante, appuyant ses rires, la poussant contre le jeune homme ; pendant que, derrière eux, la fenêtre entr’ouverte agitait de légers souffles les grands rideaux de soie rouge.

Mais une voix caverneuse vibra, toutes les têtes se tournèrent vers le piano. Campardon, la bouche arrondie, la barbe élargie dans un coup de vent lyrique, lançait le premier vers :  

Oui, l’ordre de la reine en ces lieux nous rassemble.

Tout de suite, Clotilde monta une gamme, redes-