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POT-BOUILLE

tée et ne pouvant risquer un geste, allongeait le cou, en adressant au pupitre ce serment destiné à Nevers :

Ah ! d’aujourd’hui tout mon sang est à vous !

Les échevins étaient entrés, un substitut, deux avoués et un notaire. Le quatuor faisait rage, la phrase : « Pour cette cause sainte », revenait, élargie, soutenue par la moitié du chœur, dans un épanouissement continu. Campardon, la bouche de plus en plus arrondie et profonde, donnait les ordres du combat, avec un roulement terrible des syllabes. Et, tout d’un coup, le chant des moines éclata : Trublot psalmodiait du ventre, pour atteindre les notes basses.

Octave, ayant eu la curiosité de le regarder chanter, demeura très surpris, quand il reporta les yeux vers la fenêtre. Comme soulevée par le chœur, Hortense venait de dénouer l’embrasse, d’un mouvement qui pouvait être involontaire ; et le grand rideau de soie rouge, en retombant, avait complètement caché Auguste et Berthe. Ils étaient là derrière, accoudés à la barre d’appui, sans qu’un mouvement trahît leur présence. Octave ne s’inquiéta plus de Trublot, qui justement bénissait les poignards : « Poignards sacrés, par nous soyez bénis. » Que pouvaient-ils bien faire, sous ce rideau ? La strette commençait ; aux ronflements des moines, le chœur répondait : « À mort ! à mort ! à mort ! » Et ils ne remuaient pas, peut-être regardaient-ils simplement les fiacres passer, pris de chaleur. Mais la phrase mélodique de Saint-Bris reparaissait encore, toutes les voix peu à peu la lançaient à pleine gorge, dans une progression, dans un éclat final d’une puissance extraordinaire. C’était comme une rafale qui s’engouffrait au fond de l’appartement trop étroit, effarant les bougies, pâlissant les invités, dont les oreilles saignaient. Clotilde, furieusement, tapait sur le piano, enlevait ces