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LES ROUGON-MACQUART

pauvre fille, ma pauvre fille, c’est donc vrai, cette fois !

Sa voix s’étranglait, son cœur était sur ses lèvres. Elle s’écroulait dans sa robe feu, sous le poids d’une émotion sincère et profonde, tout d’un coup anéantie, à l’heure du triomphe, par les fatigues de sa terrible campagne de trois hivers. Berthe dut jurer qu’elle n’était pas malade ; car sa mère la trouvait pâle, se montrait aux petits soins, voulait absolument lui faire une tasse de tilleul. Quand la jeune fille fut couchée, elle revint pieds nus la border avec précaution, comme aux jours déjà lointains de son enfance.

Cependant, M. Josserand, la tête sur l’oreiller, l’attendait. Elle souffla la lumière, elle l’enjamba, pour se mettre au fond. Lui, réfléchissait, repris de malaise, la conscience brouillée par la promesse d’une dot de cinquante mille francs. Et il se hasarda à dire tout haut ses scrupules. Pourquoi promettre, quand on ne sait si l’on pourra tenir ? Ce n’était pas honnête.

— Pas honnête ! cria dans le noir madame Josserand, en retrouvant sa voix féroce. Ce qui n’est pas honnête, monsieur, c’est de laisser monter ses filles en graine ; oui, en graine, tel était votre rêve peut-être !… Parbleu ! nous avons le temps de nous retourner, nous en causerons, nous finirons par décider son oncle… Et apprenez, monsieur, que, dans ma famille, on a toujours été honnête !