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LES ROUGON-MACQUART

violence, elle glissa de ses bras, riant, ayant l’air de penser simplement qu’il jouait.

— Non, laissez-moi, ne me touchez pas, si vous désirez que nous restions bons amis.

— Alors, non ? demanda-t-il à voix basse.

— Quoi, non ? Que voulez-vous dire ?… Oh ! ma main, tant qu’il vous plaira !

Il lui avait repris la main. Mais, cette fois, il l’ouvrait, la baisait sur la paume ; et, les yeux demi-clos, tournant le jeu en plaisanterie, elle écartait les doigts, comme une chatte qui détend ses griffes pour qu’on la chatouille sous les pattes. Elle ne lui permit pas d’aller au-dessus du poignet. Le premier jour, il y avait là une ligne sacrée, où le mal commençait.

— C’est monsieur le curé qui monte, vint dire brusquement Louise, en rentrant d’une commission.

L’orpheline avait le teint jaune et le masque écrasé des filles qu’on oublie sous les portes. Elle éclata d’un rire idiot, quand elle aperçut le monsieur qui mangeait dans la main de madame. Mais, sur un regard de celle-ci, elle se sauva.

— J’ai grand’peur de n’en rien tirer de bon, reprit madame Juzeur. Enfin, il faut bien essayer de mettre dans le droit chemin une de ces pauvres âmes… Tenez, monsieur Mouret, passez par ici.

Elle l’emmena dans la salle à manger, pour laisser le salon au prêtre, que Louise introduisait. Là, elle l’invita à revenir causer. Cela lui ferait un peu de société ; elle était toujours si seule, si triste ! Heureusement, la religion la consolait.

Le soir, vers cinq heures, Octave goûta un véritable repos à s’installer chez les Pichon, en attendant le dîner. La maison l’effarait un peu ; après s’être laissé prendre d’un respect de provincial, devant la gravité riche de l’escalier, il glissait à un mépris exagéré,