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LES ROUGON-MACQUART

laissé par un consommateur, sur une table voisine.

— Suivez-moi, dit-il, quand il fut dehors. C’est à deux pas.

Il marchait grave, recueilli, sans une parole. Rue Saint-Marc, il s’arrêta devant une porte. Les trois jeunes gens allaient le suivre, lorsqu’il parut pris d’une soudaine hésitation.

— Non, allons-nous-en, je ne veux plus.

Mais ils se récrièrent. Est-ce qu’il se fichait d’eux ?

— Eh bien ! Gueulin ne montera pas, ni vous non plus, monsieur Trublot… Vous n’êtes pas assez gentils, vous ne respectez rien, vous blagueriez… Venez, monsieur Octave, vous qui êtes un garçon sérieux.

Il le fit monter devant lui, tandis que les deux autres, riant, lui criaient du trottoir de dire à ces dames bien des choses de leur part. Au quatrième, il frappa, et une vieille femme vint ouvrir.

— Comment ! c’est vous, monsieur Narcisse ? Fifi ne vous attendait pas ce soir.

Elle souriait, grasse, avec le visage blanc et reposé d’une sœur tourière. Dans l’étroite salle à manger où elle les introduisit, une grande jeune fille blonde, jolie, à l’air simple, brodait un devant d’autel.

— Bonjour, mon oncle, dit-elle en se levant pour présenter son front aux grosses lèvres tremblantes de Bachelard.

Lorsque ce dernier eut présenté M. Octave Mouret, un jeune homme distingué de ses amis, les deux femmes firent une révérence surannée, et l’on s’assit autour de la table, qu’une lampe à pétrole éclairait. C’était un calme intérieur de province, deux existences réglées, perdues, vivant de rien. Comme la chambre donnait sur une cour intérieure, on n’entendait même pas le bruit des voitures.

Tout de suite, pendant que Bachelard interrogeait