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POT-BOUILLE

paternellement la petite sur ses occupations et ses sentiments depuis la veille, la tante, mademoiselle Menu, confiait leur histoire à Octave, avec la naïveté familière d’une brave femme qui croyait n’avoir rien à cacher.

— Oui, monsieur, je suis de Villeneuve, près de Lille. On me connaît bien chez messieurs  Mardienne frères, rue Saint-Sulpice, où j’ai été trente ans brodeuse. Puis, une cousine m’ayant laissé une maison au pays, j’ai eu la chance de la louer en viager, mille francs par an, monsieur, à des gens qui croyaient m’enterrer le lendemain, et qui sont joliment punis de leur mauvaise pensée, car je dure encore, malgré mes soixante-quinze ans.

Elle riait, montrant des dents blanches de jeune fille.

— Je ne faisais plus rien, les yeux perdus d’ailleurs, continua-t-elle, lorsque ma nièce Fanny m’est tombée sur les bras. Son père, le capitaine Menu, était mort sans laisser un sou, et pas un parent, monsieur… Alors, j’ai dû retirer l’enfant de sa pension, j’en ai fait une brodeuse   ; un métier où il n’y a pas de l’eau à boire   ; mais, que voulez-vous   ? ça ou autre chose, les femmes crèvent toujours de faim… Heureusement, elle a rencontré monsieur  Narcisse. Désormais, je puis mourir.

Et, les mains jointes sur le ventre, dans son inaction d’ancienne ouvrière qui avait juré de ne plus toucher une aiguille, elle couvait Bachelard et Fifi d’un regard mouillé. Justement, le vieillard disait à la petite   :

— Vrai, vous avez pensé à moi   !… Et que pensiez-vous   ?

Fifi leva ses yeux limpides, sans cesser de tirer son fil d’or.

— Mais que vous étiez un bon ami et que je vous aimais bien.

Elle avait à peine regardé Octave, comme indifférente