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POT-BOUILLE

ment. Auguste et Berthe, déjà brisés de fatigue, se regardaient par moments, l’air étonné de se voir l’un en face de l’autre ; et, quand ils se souvenaient, ils contemplaient leur assiette avec gêne.

Près de deux cents invitations étaient lancées pour le bal. Dès neuf heures et demie, du monde arriva. Trois lustres éclairaient le grand salon rouge, dans lequel on avait simplement laissé des sièges le long des murs, en ménageant à l’un des bouts, devant la cheminée, la place du petit orchestre ; en outre, un buffet se trouvait dressé au fond d’une salle voisine, et les deux familles s’étaient réservé une pièce, où elles pouvaient se retirer.

Justement, comme madame Duveyrier et madame Josserand recevaient les premiers invités, ce pauvre Théophile, qu’on surveillait depuis le matin, céda à une brutalité regrettable. Campardon priait Valérie de lui accorder la première valse. Elle riait, et le mari vit là une provocation.

— Vous riez, vous riez, balbutia-t-il. Dites-moi de qui est la lettre ?… Elle est bien de quelqu’un, cette lettre ?

Il venait de mettre l’après-midi entière pour dégager cette idée du trouble où les réponses d’Octave l’avaient jeté. Maintenant, il s’y entêtait : si ce n’était pas M. Mouret, c’était donc un autre ? et il exigeait un nom. Comme Valérie s’éloignait sans répondre, il lui saisit le bras, le tordit méchamment, avec une rage d’enfant exaspéré, en répétant :

— Je te le casse… Dis-moi de qui est la lettre ?

La jeune femme, effrayée, retenant un cri de douleur, était devenue toute blanche. Campardon la sentit s’abandonner contre son épaule, en proie à une de ces crises de nerfs qui la secouaient pendant des heures. Il eut à peine le temps de la conduire dans la pièce