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LES ROUGON-MACQUART

Elle redevint sérieuse et ajouta :

— Tenez, je vous rapporte votre Balzac, je n’ai pas pu le finir… C’est trop triste, il n’a que des choses désagréables à vous dire, ce monsieur-là !

Et elle lui demanda des histoires où il y eut beaucoup d’amour, avec des aventures et des voyages dans des pays étrangers. Puis, elle parla de l’enterrement : elle irait à l’église, Jules pousserait jusqu’au cimetière. Jamais elle n’avait eu peur des morts ; à douze ans, elle était restée une nuit entière près d’un oncle et d’une tante, emportés par la même fièvre. Jules, au contraire, détestait causer des morts, à ce point que, depuis la veille, il lui avait défendu de parler du propriétaire, étendu sur le dos, en bas ; mais elle ne trouvait rien à dire en dehors de cette conversation, lui non plus, si bien qu’ils n’échangeaient pas dix mots par heure, tout en pensant continuellement au pauvre monsieur. Ça devenait ennuyeux, elle serait contente pour Jules, quand on l’emporterait. Et, heureuse d’en pouvoir parler à l’aise, satisfaisant son goût, elle accabla le jeune homme de questions : l’avait-il vu ? était-il beaucoup changé ? devait-elle croire ce qu’on racontait, un abominable accident, pendant la mise en bière ? quant à la famille, ne décousait-elle pas les matelas, pour fouiner partout ? Tant d’histoires circulaient, dans une maison comme la leur, où galopait une débandade de bonnes ! La mort était la mort : on ne s’occupait que de ça.

— Vous me fourrez encore un Balzac, reprit-elle en regardant les livres qu’il lui prêtait de nouveau. Non, reprenez-le… Ça ressemble trop à la vie.

Comme elle lui tendait le volume, il la saisit par le poignet et voulut l’attirer dans la chambre. Elle l’amusait, avec sa curiosité de la mort ; elle lui paraissait drôle, plus vivante, tout d’un coup désirable. Mais elle