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POT-BOUILLE

Quelle raison de dépenser de la sorte un argent si nécessaire dans son commerce ? Il disait d’ordinaire que, lorsqu’on vend de la soie aux autres femmes, on doit porter de la laine. Mais Berthe avait alors les airs féroces de sa mère, en lui demandant s’il comptait la laisser aller toute nue ; et elle le décourageait encore par la propreté douteuse de ses jupons, par son dédain du linge qu’on ne voyait pas, ayant toujours des phrases apprises pour lui fermer la bouche, s’il insistait.

— J’aime mieux faire envie que pitié… L’argent est l’argent, et lorsque j’ai eu vingt sous, j’ai toujours dit que j’en avais quarante.

Berthe prenait, dans le mariage, la carrure de madame Josserand. Elle s’empâtait, lui ressemblait davantage. Ce n’était plus la fille indifférente et souple sous les gifles maternelles ; c’était une femme où poussaient des obstinations, la volonté formelle de tout plier à son plaisir. Auguste la regardait parfois, étonné de cette maturité si prompte. D’abord, elle avait goûté une joie vaniteuse à trôner au comptoir, en toilette étudiée, d’une modestie élégante. Puis, elle s’était vite rebutée du commerce, souffrant de l’immobilité, menaçant de tomber malade, se résignant pourtant, mais avec des attitudes de victime qui fait à la prospérité de son ménage le sacrifice de sa vie. Et, dès lors, une lutte de chaque minute avait commencé entre elle et son mari. Elle haussait les épaules derrière le dos de ce dernier, comme sa mère derrière le dos de son père ; elle recommençait contre lui toutes les querelles de ménage dont on avait bercé sa jeunesse, le traitait en monsieur simplement chargé de payer, l’accablait de ce mépris de l’homme, qui était comme la base de son éducation.

— Ah ! c’est maman qui avait raison ! s’écriait-elle, après chacune de leurs disputes.