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LES ROUGON-MACQUART

de son séjour là-bas. Il embrassa son père qui pleurait, donna également de gros baisers à sa mère et à sa sœur Hortense, toutes deux tremblantes. Puis, quand il aperçut Berthe, ce fut un ravissement, il la caressa avec des grâces de petit garçon. Tout de suite, elle profita du trouble attendri où elle le voyait, pour lui apprendre son mariage. Il n’eut aucune révolte, il ne parut point comprendre d’abord, comme s’il avait oublié ses fureurs d’autrefois. Mais, lorsqu’elle voulut redescendre, il se mit à hurler : mariée, ça lui était égal, pourvu qu’elle restât là, toujours avec lui, contre lui. Alors, devant le visage décomposé de sa mère qui courait déjà s’enfermer, Berthe eut l’idée de prendre Saturnin chez elle. On trouverait bien à l’utiliser dans le sous-sol du magasin, quand ce ne serait qu’à ficeler des paquets.

Le soir même, Auguste, malgré son évidente répugnance, se rendit au désir de Berthe. Ils étaient mariés à peine depuis trois mois, et une sourde désunion grandissait entre eux. C’était le heurt de deux tempéraments, de deux éducations différentes, un mari maussade, méticuleux, sans passion, et une femme poussée dans la serre chaude du faux luxe parisien, vive, saccageant l’existence, afin d’en jouir toute seule, en enfant égoïste et gâcheur. Aussi ne comprenait-il pas son besoin de mouvement, ses sorties continuelles pour des visites, des courses, des promenades, son galop à travers les théâtres, les fêtes, les expositions. Deux et trois fois par semaine, madame Josserand venait prendre sa fille, l’emmenait jusqu’au dîner, heureuse de se montrer avec elle, de profiter ainsi de ses toilettes riches, qu’elle ne payait plus. Les grandes rébellions du mari étaient surtout contre ces toilettes trop éclatantes, dont l’utilité lui échappait. Pourquoi s’habiller au-dessus de son rang et de sa fortune ?