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POT-BOUILLE

Et, pour échapper à la nudité terrifiante de sa femme, il se tourna vers ses filles, avec un bon sourire. Elles se débarrassaient également de leurs dentelles et de leurs sorties de bal, l’aînée en bleu, la cadette en rose ; et leurs toilettes, de coupe trop libre, de garnitures trop riches, étaient comme une provocation. Hortense, le teint jaune, le visage gâté par le nez de sa mère, qui lui donnait un air d’obstination dédaigneuse, venait d’avoir vingt-trois ans et en paraissait vingt-huit ; tandis que Berthe, de deux ans plus jeune, gardait toute une grâce d’enfance, ayant bien les mêmes traits, mais plus fins, éclatants de blancheur, et menacée seulement du masque épais de la famille vers la cinquantaine.

— Quand vous nous regarderez toutes les trois ! cria madame Josserand. Et, pour l’amour de Dieu ! lâchez vos écritures, qui me portent sur les nerfs !

— Mais, ma bonne, dit-il paisiblement, je fais des bandes.

— Ah ! oui, vos bandes à trois francs le mille !… Si c’est avec ces trois francs-là que vous espérez marier vos filles !

Sous la maigre lueur de la petite lampe, la table était en effet semée de larges feuilles de papier gris, des bandes imprimées dont M. Josserand remplissait les blancs, pour un grand éditeur, qui avait plusieurs publications périodiques. Comme ses appointements de caissier ne suffisaient point, il passait des nuits entières à ce travail ingrat, se cachant, pris de honte à l’idée qu’on pouvait découvrir leur gêne.

— Trois francs, c’est trois francs, répondit-il de sa voix lente et fatiguée. Ces trois francs-là vous permettent d’ajouter des rubans à vos robes et d’offrir des gâteaux à vos gens du mardi.

Il regretta tout de suite sa phrase, car il sentit