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Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/30

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LES ROUGON-MACQUART

qu’elle frappait madame Josserand en plein cœur, dans la plaie sensible de son orgueil. Un flot de sang empourpra ses épaules, elle parut sur le point d’éclater en paroles vengeresses ; puis, par un effort de dignité, elle bégaya seulement :

— Ah ! mon Dieu !… ah ! mon Dieu !

Et elle regarda ses filles, elle écrasa magistralement son mari sous un haussement de ses terribles épaules, comme pour dire : « Hein ? vous l’entendez ? quel crétin ! » Les filles hochèrent la tête. Alors, se voyant battu, laissant à regret sa plume, le père ouvrit le journal le Temps, qu’il apportait chaque soir de son bureau.

— Saturnin dort ? demanda sèchement madame Josserand, parlant de son fils cadet.

— Il y a longtemps, répondit-il. J’ai également renvoyé Adèle… Et Léon, vous l’avez vu, chez les Dambreville ?

— Parbleu ! il y couche ! lâcha-t-elle dans un cri de rancune, qu’elle ne put retenir.

Le père, surpris, eut la naïveté d’ajouter :

— Ah ! tu crois ?

Hortense et Berthe étaient devenues sourdes. Elles eurent pourtant un faible sourire, en affectant de s’occuper de leurs chaussures, qui étaient dans un pitoyable état. Pour faire diversion, madame Josserand chercha une autre querelle à M. Josserand : elle le priait de remporter son journal chaque matin, de ne pas le laisser traîner tout un jour dans l’appartement, comme la veille par exemple ; justement un numéro où il y avait un procès abominable, que ses filles auraient pu lire. Elle reconnaissait bien là son peu de moralité.

— Alors, on va se coucher ? demanda Hortense. Moi, j’ai faim.

— Oh ! et moi donc ! dit Berthe. Je crève.