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Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/294

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LES ROUGON-MACQUART

coins de Paris, ses toilettes, son luxe qu’il ne pouvait entretenir. Est-ce qu’il était raisonnable, dans leur situation, de rester dehors jusqu’à des onze heures du soir, avec des robes de soie rose, brodées de jais blanc ? Quand on avait de ces goûts-là, on apportait cinq cent mille francs de dot. D’ailleurs, il connaissait bien la coupable : c’était la mère imbécile qui élevait ses filles à manger des fortunes, sans avoir seulement de quoi leur coller une chemise sur le dos, le jour de leur mariage.

— Ne dites pas de mal de maman ! cria Berthe, relevant la tête, exaspérée à la fin. On n’a rien à lui reprocher, elle a fait son devoir… Et votre famille, elle est propre ! Des gens qui ont tué leur père !

Octave s’était plongé dans ses étiquettes, en affectant de ne pas entendre. Mais, du coin de l’œil, il suivait la querelle, et guettait surtout Saturnin, qui, frémissant, avait cessé de frotter la glace, les poings serrés, les yeux ardents, près de sauter à la gorge du mari.

— Laissons nos familles, reprit ce dernier. Nous avons assez de notre ménage… Écoutez, vous allez changer de train, car je ne donnerai plus un sou pour toutes ces bêtises. Oh ! c’est une résolution formelle. Votre place est ici, dans votre comptoir, en robe simple, comme les femmes qui se respectent… Et si vous faites des dettes, nous verrons.

Berthe restait suffoquée, devant cette main de mari brutal portée sur ses habitudes, ses plaisirs, ses robes. C’était un arrachement de tout ce qu’elle aimait, de tout ce qu’elle avait rêvé en se mariant. Mais, par une tactique de femme, elle ne montra pas la blessure dont elle saignait, elle donna un prétexte à la colère dont son visage était gonflé, et répéta avec plus de violence :