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POT-BOUILLE

bossue, se regardant en chemise, le soir, pour voir s’il ne lui manquait rien. Et elle en tenait un enfin, et comme le chasseur qui achève d’un coup de poing brutal le lièvre qu’il s’est essoufflé à poursuivre, elle se montrait sans douceur pour Auguste, elle le traitait en vaincu.

Peu à peu, la désunion augmentait ainsi entre les époux, malgré les efforts du mari, désireux de ne pas troubler son existence. Il défendait désespérément son coin de tranquillité somnolente et maniaque, il fermait les yeux sur les fautes légères, en avalait même de grosses, avec la continuelle terreur de découvrir quelque abomination, qui le mettrait hors de lui. Les mensonges de Berthe, attribuant à l’affection de sa sœur ou de sa mère une foule de petits objets dont elle n’aurait pu expliquer l’achat, le trouvaient donc tolérant ; même il ne grondait plus trop, lorsqu’elle sortait le soir, ce qui permit deux fois à Octave de la mener secrètement au théâtre, en compagnie de madame Josserand et d’Hortense : parties charmantes, après lesquelles ces dames tombèrent d’accord qu’il savait vivre.

Jusque-là, du reste, Berthe, au moindre mot, jetait son honnêteté à la figure d’Auguste. Elle se conduisait bien, il devait s’estimer heureux ; car, pour elle comme pour sa mère, la légitime mauvaise humeur d’un mari commençait seulement au flagrant délit de la femme. Cette honnêteté réelle, dans les premières gloutonneries où elle gâchait son appétit, ne lui coûtait pourtant pas un gros sacrifice. Elle était de nature froide, d’un égoïsme rebelle aux tracas de la passion, préférant se donner toute seule des jouissances, sans vertu d’ailleurs. La cour que lui faisait Octave la flattait, simplement, après ses échecs de fille à marier qui s’était crue abandonnée des hommes ; et elle en tirait