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LES ROUGON-MACQUART

en outre toutes sortes de profits, dont elle bénéficiait avec sérénité, ayant grandi dans le désir enragé de l’argent. Un jour, elle avait laissé le commis payer pour elle cinq heures de voiture ; un autre jour, sur le point de sortir, elle s’était fait prêter trente francs, derrière le dos de son mari, en disant avoir oublié son porte-monnaie. Jamais elle ne rendait. Ce jeune homme ne tirait pas à conséquence ; elle n’avait aucune idée sur lui, elle l’utilisait, toujours sans calcul, au petit bonheur de ses plaisirs et des événements. Et, en attendant, elle abusait de son martyre de femme maltraitée, qui remplissait strictement ses devoirs.

Ce fut un samedi qu’une affreuse querelle éclata entre les époux, au sujet d’une pièce de vingt sous qui se trouvait en moins dans le compte de Rachel. Comme Berthe réglait ce compte, Auguste apporta, selon son habitude, l’argent nécessaire aux dépenses du ménage pour la semaine suivante. Les Josserand devaient dîner le soir, et la cuisine se trouvait encombrée de provisions : un lapin, un gigot, des choux-fleurs. Près de l’évier, Saturnin, accroupi sur le carreau, cirait les souliers de sa sœur et les bottes de son beau-frère. La querelle commença par de longues explications au sujet de la pièce de vingt sous. Où avait-elle passé ? Comment pouvait-on égarer vingt sous ? Auguste voulut refaire les additions. Pendant ce temps, Rachel embrochait son gigot avec tranquillité, toujours souple, malgré son air dur, la bouche close, mais les yeux aux aguets. Enfin, il donna cinquante francs, et il allait redescendre, lorsqu’il revint, obsédé par l’idée de cette pièce perdue.

— Il faut la retrouver pourtant, dit-il. C’est peut-être toi qui l’auras empruntée à Rachel, et vous ne vous en souvenez plus.

Berthe, du coup, fut très blessée.